Le train de nuit, ou comment réapprendre à prendre le temps
En avril je suis partie à Vienne pour participer à une conférence internationale sur les Sciences de la Terre. Pour m’y rendre j’ai pris le train plutôt que l’avion. Ce texte est un morceau de réflexion autour des modes de transports plus responsables. Au travers de mes photos, j’ai essayé de retranscrire mon état d’esprit quant à ma façon d’appréhender le voyage dernièrement.
Après avoir pris beaucoup (trop) de fois l’avion en 2022 & 2023, je me suis dit qu’il était temps de ralentir. Parce que faire de la recherche en climatologie et prendre l’avion plus de 5x/an ce n’est pas cohérent. Et même si j’ai pris l’avion pour le travail pendant ces deux dernières années, je l’ai aussi pris dans le cadre perso. Mais peu importe, c’est trop de fois dans tous les cas. Je ne suis pas bien fière mais je n’ai pas de regret non plus. Simplement l’envie de voyager en limitant mon impact sur la planète, à un rythme plus lent, pour réapprendre à apprécier le voyage, les paysages, m’éloigner d’un mode de voyage consumériste. Vouloir aller partout sur Terre, voir tout, vite. A quoi ça sert ? Si c’est pour courir d’un endroit à l’autre sans prendre le temps de s’imprégner, de contempler les endroits traversés, de se connecter à l’environnement et ses habitants. Si c’est pour simplement faire une photo ou dire qu’on est allé à tel endroit ? Quels enseignements en tire-t-on ? Aucun de vertueux à mes yeux. A ces voyages gourmands, je préfère une aventure lente, au programme moins chargé voire sans programme. Une expérience au rythme de mes envies et des opportunités qui se présentent, à l’écoute de ce qui m’entoure, centrée sur la contemplation. Parce qu’on ne peut pas prétendre aimer notre Terre en voyageant sans prendre le temps de l’apprécier et avec des moyens qui la détruise.
En choisissant le train ou le bus, on fait le choix de la lenteur surtout pour de longues distances, mais on choisit aussi et surtout, la contemplation, l’ennui, la longueur, le rêve, le silence, la monotonie. Autant de choses disparues dans le quotidien du citadin. Pourtant des choses qui me font sentir vivante. Et même si la sensation du décollage de l’avion m’excite, je lui préfère toutes ces sensations singulières, propres aux déplacements lents, moins polluants. En choisissant un mode de transport lent, le voyage est rendu plus cohérent dans sa globalité. Ce que l’on part chercher dans la destination, que ce soit pour visiter une ville ou s’enfoncer dans la nature, peut à présent s’expérimenter pendant le déplacement. Pourvu que l’on ait intégré une philosophie de voyage responsable, respectueuse, reconnaissante.
Alors en avril, j’ai choisi le train de nuit pour aller en conférence à Vienne. Une conférence sur les Sciences de la Terre, à laquelle j’ai notamment eu la chance de pouvoir écouter Valérie Masson Delmotte nous parler du dernier rapport du GIEC, de l’état des connaissances quant au dérèglement climatique causé par les activités humaines, des projections climatiques pour le futur, des pistes à explorer pour redresser la barre, car ce n’est pas trop tard. J’ai bu ses paroles. Je l’ai trouvé impressionnante, à s’exprimer avec aplomb et pertinence pendant une heure. Parce qu’à l’origine, Valérie est une chercheuse en paléoclimatologie et qu’à présent elle porte la voix des scientifiques spécialistes du fonctionnement du climat. Elle m’inspire le respect, l’excellence, l’honnêteté et l’espoir. Car elle communique toujours avec le sourire, sans jamais accabler personne. Elle informe, fait le pont entre la science et la société, les politiques notamment, et son rôle est capital.
Mais revenons-en au train ! Il y a un tas de gens qui se rendent à cette conférence annuelle en train et ce depuis des années, c’est vrai, alors ça ne me rend pas originale, loin de là. Mais j’ai eu envie de documenter un peu ce voyage, pour rendre compte de l’expérience avec mes mots et quelques photos.
A l’inverse de si j’avais pris l’avion, un moyen de transport qui rend les déplacements en Europe beaucoup trop simples et banaux, j’ai eu la sensation de partir à l’aventure dès l’instant où je suis montée dans le wagon. Et c’était le cas, car j’ai regardé la carte et c’est vrai tiens, Vienne c’est vachement loin! Le train a l’avantage de révéler de nouveaux paysages en continu, permettant d’assimiler le déplacement réalisé, d’appréhender l’environnement d’arrivée. Quel temps fait-il là-bas ? A quoi ressemble l’architecture ? Comment se comportent les gens ? Le printemps est-il arrivé là-bas ? Autant de questions que les longues heures de train nous autorisent à nous poser.
Aussi, le format couchette facilite les échanges avec ses camarades de nuitée. En attendant la tombée de la nuit, pour quelques heures nous discutons, nous liant tout en sachant qu’à l’aube nous nous quitterons. J’ai aimé ces échanges. Ils m’ont marqué, laissé le souvenir de vies croisées, bien éloignées de la mienne. Des échanges que l’on a pas en voiture, que l’on ne s’autorise pas en avion car ce n’est pas vraiment la philosophie. Dormir dans le train, ça aussi j’ai aimé. M’endormir à la frontière franco-allemande et me réveiller en Autriche, bercée par le ballottement du train sur les rails. Dormir avec des inconnus, dans un tout petit espace. C’est quelque chose que l’on ne fait plus. Devoir s’adapter, aux horaires de coucher des uns et des autres, s’organiser pour faire rentrer les bagages de tout le monde dans cette petite cabine. On ne dirait pas mais le train de nuit, c’est de la logistique! C’est aussi du savoir-vivre ensemble. Voilà un intérêt supplémentaire à ce type de voyage: réapprendre le savoir-vivre ensemble qui, je trouve, se perd dans notre société occidentale, du moins en France.
Aussi en arrivant à Vienne, j’étais excitée de (re)découvrir la ville parce que j’avais eu le temps d’y penser. J’étais dans un nouvel état d’esprit, plus alignée avec ce que je suis et j’ai appréhendé mon voyage différemment des précédentes fois où j’étais venue (en avion), du fait de mon mode de déplacement. J’ai contemplé la ville, ses habitants, son architecture, sa végétation. Je me suis laissée guider par mes envies.
Ces quelques heures de train m’auront permis de redécouvrir le train de nuit. J’ai adoré l’expérience et ça tombe bien car il est en train d’être réhabilité en France et en Europe!
En attendant, je retourne planifier ma prochaine aventure, qui se fera… en train de nuit!
Quelques chiffres sur les émissions de gaz à effet de serre (GES) liées aux transports:
En France, chaque français parcourt en moyenne 8500km par an pour ses déplacements longues distances (>80km). Et ce sont 85% de ces déplacements qui sont effectués en avion ou en voiture, le train ne représentant encore que 12% des distances, alors qu’il émet 40 fois moins de GES que la voiture. L’avion long-courrier, alors qu’il ne représente que 2% des trajets du secteur, compte pour 1/3 des émissions de GES. Les émissions liées à nos déplacements longues distances représentant 9% des émissions nationales de GES.
Source: Climat, crises: Le plan de transformation de l’économie française - The Shift Project
Le secteur du transport, tout confondu, représente 15% du budget planétaire annuel des émissions de GES, le train ne contribue qu’à hauteur de 0.4%, contre 10% pour les transports par la route.
Source: The IPCC Sixth Assessment Report (AR6)
Quelques ressources utiles:
sur l’état actuel du dérèglement climatique, de l’impact des activités humaines, des prévisions et solutions pour le futur: les rapports du GIEC, notamment le dernier rapport IPCC AR6 - lien
sur les solutions possibles à mettre en place en France: The Shift Project - lien
sur les solutions à mettre en place à l’échelle mondiale: NetZeroBy2050 - lien
sur l’actualité en lien avec les enjeux climatiques et sociaux: BonPote - lien
pour comprendre la contribution en GES des différents secteurs, développer ses arguments face aux climatosceptiques, calculer son empreinte écologique et bien d’autres outils encore: https://www.alexandremace.fr/
pour simuler l’empreinte carbone de ses voyages, un tout nouvel outil open source: https://lowtrip.fr